Pauvre Rutebeuf

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

Avec le temps qu'arbres défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est avenu

Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
L'espérance de lendemain
Ce sont mes fêtes

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Avec le temps... Léo Ferré

Avec le temps...
avec le temps, va, tout s'en va
on oublie le visage et l'on oublie la voix
le cœur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller
chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien

avec le temps...
avec le temps, va, tout s'en va
l'autre qu'on adorait, qu'on cherchait sous la pluie
l'autre qu'on devinait au détour d'un regard
entre les mots, entre les lignes et sous le fard
d'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit
avec le temps tout s'évanouit

avec le temps...
avec le temps, va, tout s'en va
mêm' les plus chouett's souv'nirs ça t'as un' de ces gueules
à la gal'rie j'farfouille dans les rayons d'la mort
le samedi soir quand la tendresse s'en va tout' seule

avec le temps...
avec le temps, va, tout s'en va
l'autre à qui l'on croyait pour un rhume, pour un rien
l'autre à qui l'on donnait du vent et des bijoux
pour qui l'on eût vendu son âme pour quelques sous
devant quoi l'on s'traînait comme traînent les chiens
avec le temps, va, tout va bien

avec le temps...
avec le temps, va, tout s'en va
on oublie les passions et l'on oublie les voix
qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid

avec le temps...
avec le temps, va, tout s'en va
et l'on se sent blanchi comme un cheval fourbu
et l'on se sent glacé dans un lit de hasard
et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard
et l'on se sent floué par les années perdues- alors vraiment
avec le temps on n'aime plus

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Je suis mort qui, qui dit mieux

Jacques Higelin

Je suis mort qui qui dit mieux
Ben mon pauv' vieux voilà aut' chose
Je suis mort qui qui dit mieux
Mort le venin coupée la rose
J'ai perdu mon âme en chemin
Qui qui la r'trouve s'la met au chose
J'ai perdu mon âme en chemin
Qui qui la r'trouve la jette aux chiens.

J'm'avais collé avec une femelle
Ben alors ça c'est la plus belle
J'm'avais collé avec une femelle
L'jour où j'ai brûlé mes sabots
J'y avais flanqué un marmot
Maintenant qu'son père est plus d'ce monde
Va pousser ce p'tit crève-la-faim
Faut qu'ma veuve lui cherche un parrain.

Elle y en avait d'jà trouvé un
Hey, j'ai pas les yeux dans les poches
Elle y en avait d'jà trouvé un
Dame faut prévoir en cas d'besoin,
C'est lui qui flanquera des taloches
A mon p'tiot pour qu'y s'tienne bien droit
C'est du joli, moi j'trouve ça moche
De cogner sur un plus p'tit qu'soi.

Cela dit dans c'putain d'cimetière,
J'ai perdu mon humeur morose
Jamais plus personne ne vient
M'emmerder quand je me repose,
A faire l'amour avec la terre
J'ai enfanté de p'tits vers blancs
Qui me nettoient, qui me digèrent
Qui font leur nid au creux d'mes dents

Arrêtez-moi si je déconne
Arrêtez-moi ou passez m'voir
Sans violette, sans pleurs ni couronne
Venez perdre un moment d'cafard
J'vous ferais visiter des cousins
Morts à la guerre ou morts de rien
L'esprit qui vous cligne de l'oeil
Les bras tendus hors du cercueil.

Aujourd'hui je vous sens bien lasse
Ne soyez pluis intimidée
A mes côtés reste une place
Ne tient qu'à vous de l'occuper
Quest-ce-que tu as ? Oui le temps passe
Et le p'tit va rentrer d'lécole
Dis-lui qu'son poère a pas eu d'bol
L'a raté l'train, c'était l'dernier.

Attends un peu ma femme, ma mie,
J'ai un remède pour le garçon,
J'ai plus ma tête voilà qu'j'oublie
Où j'ai niché l'accordéon,
P'têt' à la cave p'têt' au grenier
Je n'aurai d'repos qu'il apprenne
Mais il est tard sauve toi, je t'aime
Riez pas du pauv' macchabée.

Ceux qu'on jamais croqué d'la veuve
Les bordés d'nouilles, les tire-à-blanc
Quy'on pas gagné une mort toute neuve
A la tombola des mutants
Peuvent pas savoir ce qui gigote
Dans les trous du défunt cerveau
Quand sa moitié dépose une botte
de roses su'l'chardon du terreau