General Motors, figure du capitalisme américain durant des décennies, symbole de la consommation de masse, modèle de la grande industrie, catalogue de marques de prestige, sujet de tant de rêves, objet de tant d'études pour ses chaînes, ses ouvriers, ses cadres, son management, son design, General Motors est mort. De 800.000 emplois en 1980, c'était hier, l'entreprise passera à 60.000 dans trois ans. Si encore elle survit. Si encore l'industrie automobile américaine reçoit les 15 milliards de dollars en ce moment en discussion serrée à Washington.

En vérité, s'il est si difficile d'accorder ces aides, si les conditions imposées à Detroit sont chaque jour plus hautes, c'est que personne n'y croit plus. Sûrement pas les républicains, de moins en moins les démocrates. Même Barack Obama, qui pourtant s'était engagé en faveur des Etats de la vieille industrie et des cols bleus. Et même les syndicats, au fond, qui veulent surtout que l'Etat fédéral prenne leurs retraites en charge.

Mort. Les crises font mourir les faibles. Nous y voilà. Une petite entreprise, nouvelle GM, pourra subsister. Chrysler sans doute pas. Ford, qui se porte un peu mieux, conservera une part de marché. Mais l'histoire tourne la grande page : l'industrie automobile américaine meurt. Et ce n'est pas qu'un symbole qui disparaît. C'est tout un capitalisme.

Quand certains se réjouissent de voir remises en selle les politiques de relance keynésiennes et qu'enfin l'Etat soit de retour pour reprendre la main sur « le marché », ils feraient mieux de regarder de près ce que signifie la fin de GM. Ce n'est pas le marché qui défaille, c'est le marché de masse. Ce n'est pas la finance qui déraille, c'est le management qui confie les décisions à des PDG « hors du monde », comme ceux de Wall Street et de Detroit. Grandes usines, grandes firmes, grands magasins, ouvriers à la chaîne et classe moyenne, tout un monde s'écroule. Celui du « fordisme », où le salarié, bien payé pour un travail à vie, obéissant, s'achetait automobile et logement et que l'ensemble des revenus de cette classe moyenne assurait « la demande », dont la croissance a besoin. Croire donc que la crise nous ramène à Keynes et à l'Etat, bref au sortir de la Grande Dépression des années 1930, est se tromper du tout au tout : on ne revient pas au début du fordisme, on vit sa fin.

Le besoin de plans de relance au niveau mondial est avéré. Le retour des politiques dans la régulation des marchés financiers est très nécessaire. Mais ce qui sortira de cette crise, le monde qui se dessine, ne sera aucunement celui des Etats d'antan. Les Etats d'aujourd'hui sont des General Motors, trop massifs, trop lents, trop aveugles, trop bêtes surtout.

General Motors ne meurt pas de la crise financière. Le géant ne succombe pas non plus à la forte hausse du prix du pétrole, au début de cette année, qui a rendu obsolètes ses modèles à 12 litres au cent. Sa déconstruction remonte à plus loin. D'un point de vue industriel, c'est le recours à la sous-traitance généralisée et aux délocalisations qui a démonté les longues chaînes continues du « tout fait maison ». D'un point de vue consommation, les besoins de déplacement sont modifiés radicalement avec l'urbanisation, phénomène mondial. Et, avec l'apparition de technologies informatiques qui permettent de presque tout faire de loin (converser, travailler) : hier utilisées marginalement, elles devraient irrémédiablement se généraliser durant cette crise, à cause des coûts, du temps et du CO2.

La fin de GM et du fordisme ouvre la porte aux nouveautés. Cette crise ne débouchera pas sur un quelconque « retour à... » (l'Etat, la nation, l'impôt, l'autorité, la banque de papa, ajoutons, enfin, le socialisme), mais au contraire sur une remise en cause de toutes les institutions de masse nées du fordisme au profit de plus de liberté, de contestation, d'individualisme. Le talent est gâché à Detroit à ne pas inventer les transports du XXIe siècle, comme dans les banques à faire des « produits » incompréhensibles pour gruger les clients. GM meurt parce qu'il ne savait pas utiliser les intelligences. L'Amérique d'Internet, elle, sait.