Débat sur la vocation de ces lieux de création, ou comment défendre l'«illégal mais légitime».

mardi 13 septembre 2005 (Liberation - 06:00)

Dans la petite commune libre du Théâtre de verre, comme tous les dimanches à Paris, entre une accumulation foisonnante d'oeuvres et une succession de performances, se déroule tout l'après-midi un repas-agora. Ce week-end, ce menu était relevé par un débat, en clôture de trois jours sur «l'Art dans les squats» organisés par la revue Cassandre/Horschamp (1), au Théâtre de verre et au 17e Parallèle. Autour de cette table ronde : l'association Droits Devant, les collectifs Rivoli, le Tunnel, la Forge ou Mix'Art Myrys de Toulouse.

Pesait sur cette assemblée l'expulsion violente des 400 Couverts de Grenoble cet été, surtout les récents incendies ­ «49 cercueils !» ­ dans deux immeubles parisiens, et le brutal nettoyage de deux squats d'habitation suite aux déclarations musclées de Nicolas Sarkozy. Répliques des intervenants : «Paris ne doit pas devenir un ghetto de luxe... Il y a un contexte de guerre aux pauvres... Il faut créer des liens entre artistes et mal-logés... Et réactiver la loi de réquisition signée par le général de Gaulle le 11 octobre 1945.»

Caravansérail latino. Luis Pasina, du Théâtre de verre, a décrit la précarité de «l'espace d'autonomie» qu'il anime depuis trois ans. Après l'impasse Barrier (XIIe), où les occupants ­ une soixantaine d'artistes de toutes les disciplines ­ ont inventé ce caravansérail latino surréaliste, la troupe a reconquis des locaux vides appartenant à la SNCF. Dix mois tranquilles «où l'on a trouvé des réponses, bénévoles, pour continuer à créer ensemble, s'organiser face à la précarité. On y arrive, avec du plaisir aussi». Mais aucune négociation avec le propriétaire. Et soudain, une assignation, cet été, du tribunal de grande instance de Paris. Deux mois de gagnés, renvoi au 27 octobre. «Les deux projets en concurrence ici, des logements sociaux pour cheminots d'un côté, et une crèche et un jardin défendus par la mairie du Xe, ne sont pas prêts de voir le jour. Il faut habiter ces espaces libres, en attendant, résister jusqu'à la dernière minute.»

Ce qui a fédéré la petite assemblée d'une centaine de personnes, c'est que tous ces lieux, légaux ou illégaux, se démontrent depuis des années «d'intérêt public». Ils permettent à des artistes de créer, collectivement, de présenter leur travail au public et d'inventer des pôles attractifs et festifs dans divers quartiers. Chaque ruche gardant son identité.

«Absence de désordre.» La légalisation de lieux, à travers les échanges d'expériences entre Rivoli, la Forge, le Tunnel, Mix'Art Myrys, pose de nouvelles questions. Comment ne pas faire de concessions à l'autogestion, comment composer avec des normes de sécurité très coûteuses excluant la visite du public ? Et débattre avec des mairies qui ne pensent qu'à institutionnaliser des lieux avant même qu'ils n'existent ?

«Illégal mais légitime», ce mot d'ordre des artistes revendiquant l'occupation des immeubles vacants, est systématiquement confronté à la loi. Les squatteurs s'aguerrissent aux procès, s'appuient sur la loi. Un représentant de La Générale explique pourquoi, la semaine dernière, leur collectif a obtenu «le droit» de rester dix-huit mois dans les 6 000 m2, vides depuis dix ans, qu'ils occupent à Belleville (Paris XXe) depuis mars. «Le propriétaire, l'Education nationale, avait demandé notre expulsion en référé pour soudaine dangerosité des lieux. La juge a constaté l'absence de désordre, la sécurisation du bâtiment et l'absence de projet à court terme du ministère.» Condition : qu'un dialogue débouche d'ici à trois mois sur un règlement. Et si les artistes étaient les meilleurs gardiens d'immeubles laissés à l'abandon ?

(1) www.horschamp.org