Depuis l'arrivée de Dominique de Villepin à Matignon, divers dispositifs renforcent les points les plus contestés de la loi dite de cohésion sociale, par l'injustice qu'ils génèrent dans une population fragilisée socialement et leur inefficacité quant aux chances des chômeurs de retrouver un emploi.

Le principe des sanctions visant à punir un chômeur qui n'accepterait pas un emploi "convenable", ajouté au rôle nouveau donné aux Assedic de décider d'une punition financière à l'encontre de son allocataire, sont exemplaires de ce qu'il ne faut pas faire. La victime se voit transformée en coupable et l'institution dont elle dépend devient juge et partie.

Le débat n'est pas nouveau, et la pratique ancienne. Cette politique répressive, élaborée en son temps par Martine Aubry, n'a jamais permis aux chômeurs de retrouver un emploi. En revanche, elle permet de faire baisser le nombre officiel des demandeurs d'emploi. Dans les six premiers mois de l'année 2005, plus de 200 000 chômeurs ont été radiés des listes de l'ANPE, soit 4,1 % de plus qu'en 2004.

Le traitement social du chômage prend des allures d'hémorragie. Parallèlement, ce gouvernement ­ comme le précédent ­ refuse d'ouvrir une négociation sur le montant minimum des allocations qui devraient être versées aux chômeurs. Elles sont actuellement dérisoires : environ 750 euros par mois en moyenne, alors que, sur une même période, 350 euros sont nécessaires pour assumer le coût d'une recherche d'emploi.

"Ou je remplis le frigo, ou je cherche du boulot" : voilà le souci principal d'un chômeur en début de mois ! Avec 427 euros par mois, un RMiste ne sait même plus comment gérer la première partie de la question. Visiblement, l'équipe Villepin n'en a cure : cette problématique a été évacuée de la loi de cohésion sociale, alors que 60 % des demandeurs d'emploi ne sont plus indemnisés par l'Unedic, dont c'est pourtant le rôle. Pour rappel, sur 4 167 189 demandeurs d'emploi recensés à l'ANPE, seuls 2 446 500 figuraient dans la catégorie 1, celle des "chômeurs" officiels indemnisés, selon Statis (revue de l'Unedic, 2e trimestre 2004). Pourtant, plus les niveaux d'indemnisation sont bas ou inexistants, plus les périodes de chômage sont longues. Ce constat laisse imperméable un pouvoir qui n'a pas bronché, lorsque, au conseil d'administration de l'Unedic du 29 juin, le Medef a refusé d'augmenter les allocations alors que les cinq confédérations syndicales y étaient favorables.

Comment tolérer que, dans un pays démocratique, une institution responsable du versement des salaires de plusieurs millions de nos concitoyens fonctionne sur la base d'un système à ce point antidémocratique, qui permet au patronat d'imposer son seul point de vue ? Le paritarisme est à bout de souffle et de nombreux syndicalistes en exigent la réforme. Le gouvernement n'est pas loquace sur le sujet.

Depuis quinze ans, tous les gouvernements ont botté en touche, en agréant des conventions Unedic ayant pour socle la diminution systématique des droits des chômeurs. Cachés derrière le paravent d'accords interprofessionnels (minoritaires), les responsables de l'Etat ont délégué une partie importante des politiques sociales aux partenaires sociaux.

La radicalité du Medef et le comportement de la CFDT (lors des négociations sur les retraites et sur la Sécurité sociale, notamment) laissent deviner le sombre avenir réservé à l'assurance-chômage si les choses restent en l'état.

Les négociations de la convention Unedic s'ouvriront à l'automne. Celle-ci devra recevoir l'agrément du gouvernement pour devenir effective ­ lequel ne fait aucun doute : ceux qui sont aux manettes n'ont pas pour habitude de s'opposer au Medef. Qu'en est-il des autres candidats à prendre les rênes de la République ? Peuvent-ils oublier que le triomphe du non au traité de Constitution européenne a reposé sur l'exaspération profonde de la population salariée, la seule à subir de plein fouet le chômage, les emplois précaires, les bricolages des "plans sociaux" et, désormais, les conditions d'un contrat de nouvelle embauche que même les derniers monarques n'auraient osé imaginer.

De bas salaires en maigres allocations et en droits sociaux toujours revus à la baisse, des hommes et des femmes résident dans les sous-sols de la République : là où le paiement d'un loyer est un calvaire, celui de la cantine des enfants un souci, l'accès aux loisirs, à la culture ou aux vacances une addition de rêves, où le droit de vivre dignement est un supplément d'âme. Pour tous ceux-là, la loi de cohésion sociale ne transforme pas le souhaitable en possible. Elle organise le contraire.

François Desanti est secrétaire général de la CGT-Chômeurs.

Source Le monde du 09/09/2005