EN MARGE

Avant, il y avait la nuit du 4 août. Durant cette nuit fameuse de 1789, les privilèges de la féodalité avaient été abolis. Plus d'un millénaire d'histoire était balayé. Maintenant, il y aura aussi le jour du 4 août. Ce jour-là, c'est-à-dire demain, entrera en vigueur le contrat de nouvelle embauche, qui permet aux patrons de petites entreprises de remercier du jour au lendemain leurs salariés embauchés depuis moins de deux ans. Quel sens du calendrier ! S'ils ne cédaient pas à la torpeur estivale, les chroniqueurs des gazettes syndicales dénonceraient sans doute la « restauration du privilège » de licencier librement. Et les héritiers du héraut des petits commerçants, Pierre Poujade, pourraient au contraire se réjouir de cette « abolition du privilège » indûment accordé aux salariés de se cramponner scandaleusement à leur poste même s'ils ne fichent rien.

Entre 1789 et 2005, c'est pourtant... le jour et la nuit. Certes, dans les deux cas, c'est un nom à particule qui initie le mouvement - le duc d'Aiguillon antan, le Galouzeau de Villepin à présent. Mais la ressemblance s'arrête là. En 1789, l'Assemblée nationale décidait. En 2005, c'est le Premier ministre. Avant, les décrets tenaient sur une feuille recto verso. Maintenant, les ordonnances font 34 pages. Avant, c'était clair : « Toutes les justices seigneuriales sont supprimées sans aucune indemnité », ou « Tous les citoyens, sans distinction de naissance, pourront être admis à tous les emplois ». Aujourd'hui, c'est parfois obscur : « Le dernier alinéa de l'article L.834-1 du Code de la Sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : «Les dispositions du cinquième alinéa de l'article L.620-10 du Code du travail s'appliquent au calcul de l'effectif mentionné au présent article.» » En 1789, l'Assemblée avait décrété qu'« en mémoire des grandes et importantes délibérations qui viennent d'être prises pour le bonheur de la France, une médaille sera frappée ». Aujourd'hui, il n'en est pas question... Il est vrai que le 4 août est désormais une date chargée. En 1914, la France avait déclaré la guerre à l'Allemagne. Et en 2005, le nouveau président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, entre en fonction sans vouloir apparemment abolir le privilège nucléaire de son pays.

source Les Echos du 03/08/2005