Le propre d'une bulle, c'est généralement d'être décelée une fois qu'elle a éclaté. Ainsi, à l'instar de ce qu'ils disaient lors de la flambée immobilière des années 1984-1990, les professionnels des secteurs concernés ne cessent aujourd'hui de défendre l'absence de bulle sur l'immobilier français. Comme toujours, les arguments sont évidemment excellents : faiblesse des taux d'intérêt, forte demande de logements neufs, offre insuffisante... Les partisans du « non » à la véracité de la bulle ont même dernièrement trouvé un allié inattendu en la personne de l'Insee. Dans sa dernière note de conjoncture, celui-ci n'a effectivement pas hésité à publier deux modèles qui « semblent écarter l'existence d'une bulle immobilière en France », tout en spécifiant néanmoins que leurs conclusions ne préjugent en rien de l'évolution future des prix immobiliers. Autrement dit, il n'y a peut-être pas de bulle, quoique...

Sans vouloir renchérir sur ces travaux économétriques, qui, au dire de l'Insee lui-même, sont à prendre avec des pincettes, il nous semble cependant opportun de rappeler quelques réalités. Rappelons tout d'abord qu'une bulle spéculative désigne la formation d'un écart cumulatif et auto entretenu entre la valeur financière d'un actif et sa valeur « réelle ». Ainsi, on pourra dire qu'il n'y a pas de bulle immobilière en France si l'augmentation de 97 % des prix immobiliers depuis 1998 correspond à l'évolution réelle des biens immobiliers et, plus globalement, à celle de l'ensemble de l'économie française. Or la meilleure approximation de l'évolution de cette dernière réside dans celle du produit intérieur brut.

Et c'est là que les choses se gâtent. Car, si, en sept ans, les prix de l'immobilier ont augmenté de quasiment 100 % dans l'Hexagone, le PIB français en valeur n'a progressé que de 25 %. Il s'agit donc d'un rapport de un à quatre. Hasard ou coïncidence, cet inquiétant rapport correspond presque exactement à celui qui prévalait de 1984 à 1990. Au cours de ces sept années, les prix de l'immobilier avaient effectivement augmenté de quasiment 200 %, mais le PIB en valeur avait progressé de près de 60 %. Pour être exact, le rapport est donc encore plus excessif aujourd'hui qu'il y a quinze ans. En d'autres termes, n'en déplaise à certains, nous vivons actuellement une situation analogue à celle des années 1984-1990, en l'occurrence un écart excessif et auto-entretenu entre la valeur des actifs immobiliers et la valeur de la richesse nationale. Mais ne s'agirait-il donc pas là de la définition d'une bulle ?

Qui plus est, même si les taux d'intérêt nominaux et réels sont actuellement bien plus bas qu'en 1990, l'explosion de l'endettement des ménages, la multiplication des crédits sur des périodes de vingt-cinq-tente ans à des particuliers peu solvables ou encore la faiblesse de l'emploi fragilisent la situation du marché immobilier et, par là même, celle de l'économie française dans son ensemble. Et pour cause : pour de nombreux ménages endettés au maximum de leurs capacités, la faiblesse de l'emploi et du pouvoir d'achat risque de les obliger à vendre leur logement, augmentant mécaniquement l'offre de biens immobiliers, alors que la demande se tarit (compte tenu des prix actuels). De telles évolutions ne manqueront évidemment pas de peser à la baisse sur les cours.

Que va-t-il donc nous arriver ? Sans vouloir « casser l'ambiance », ni démoraliser les investisseurs et les particuliers qui semblent de plus en plus s'accommoder de la flambée immobilière, le retour à la réalité risque d'être cinglant. En effet, dans la mesure où rien ne permet d'imaginer une flambée de 50 % de la richesse nationale en quelques années, la corrélation entre le PIB en valeur et les prix de l'immobilier sur vingt ans montre que ces derniers sont bien sur un plateau duquel ils devront inévitablement descendre.

Pour les mois à venir, les cours immobiliers pourraient donc encore résister, voire s'apprécier légèrement en vertu d'un dernier baroud d'honneur, avant de subir les affres de la croissance sans emploi, du surendettement des ménages et de la remontée des taux d'intérêt à long terme. Mais le drame ne s'arrêtera pas là, dans la mesure où aucune économie ne peut sortir indemne d'un repli durable et significatif des cours immobiliers. Les exemples de l'Allemagne, du Japon ou encore de l'Hexagone au début des années 1990 sont là pour nous le rappeler. Autrement dit, après une croissance de 2,3 % en 2004 et d'environ 1,6 % cette année, la France s'apprête peut-être à vivre deux ou trois années encore bien plus difficiles. Bon courage à tous... !

MARC TOUATI est directeur des études économiques de Natexis Banques Populaires. (source)