Dans le TIMEeurope Magazine rubrique secret capitals, numéro du 30/08/04, vous pourrez lire en anglais dans le texte, que Nantes est LA ville européenne où il fait bon vivre, notamment pour sa qualité de vie... déjà remarquée et plébiscitée dans de nombreuses parutions hebdomadaires.

Seule chose qui ne soit pas évoquée, c'est tout ce que ce changement a entraîné pour les nantais du cru. Non pas que je sois chauvin, mais ayant passé toute mon enfance dans le coin, et parcouru pas mal de chemins depuis, j'ai une vision un peu moins idyllique de ces transformations.

Comme tout à chacun, nous avons été confrontés aux crises à répétitions, ce qui s'est traduit par la fermeture des chantiers navals, héritiers de la longue tradition maritime de Nantes du temps du commerce triangulaire (à méditer). Pour être bref, le passé nantais, marqué par la rupture avec la Bretagne, sa tradition de tolérance (Edit de Nantes), de commerce (les îles), d'industrie (navale et affiliés), alimentaire (maraîchage, conserveries, biscuit "le petit Lu", le "choco BN ...), s'est trouvé confronté avec les crises à répétitions (1974, 1979, 1991, 1993...) à devoir muter pour continuer à exister.

De longue tradition, la vie ouvrière et paysanne, a constitué le socle de la vie nantaise, utilisée par la bourgeoisie commerçante (les négriers, l'import-export (sucre, épices, rhum, banane, indiennes...)). Au gré des crises, la transformation a donné lieu à de sérieux conflits, dans les années révolutionnaires (Carrier), ou plus proche avec les syndicats ouvriers (années 50, mai 1968, lutte anti-nucléaire).

Longtemps gouvernée à droite, la ville est passée à gauche au début des années 80. Le temps d'enterrer les chantiers, la ville est devenue ce qu'il était convenu d'appeler la "belle endormie". En 1989, la gauche est revenue au pouvoir après un mandat d'interruption à droite, avec un des plus jeunes maires de France en son temps: J-M Ayrault, qui avait conquis l'électorat de St-Herblain, ville de la périphérie. Son action, simple, basée sur la concordance des besoins et de l'offre en matière sociale et culturelle devait trouver un levier important à l'échelle de l'agglomération. Son action a été orientée sur la reconquête du centre ville par un schéma urbain courageux et coûteux, le développement des transports urbains (tramways, bus, les navettes fluviales sont à l'étude pour 2005) qui rapprochent la périphérie du centre afin de favoriser la mixité sociale, la culture, et l'accueil d'entreprises ou d'administrations "décentralisées".

Ces deux derniers points méritent quelques approfondissements. La culture à Nantes, c'est beaucoup de choses, un passé riche: Jules Verne, les ducs de Bretagne, Tri Yann, les éditions de l'Atalante, Jacques Demy, les surréalistes (Vaché, Breton ...), Aristide Briand, Julien Gracq, le , le cinéma, il y a encore peu nous avions le seul cinéma à 10Fr (puis deux euros) de France... Maintenant, et d'abord avec St-Herblain dès 1986, "on" a le Royal de Luxe, le CRDC, et le Lieu Unique (scène nationale) implantée dans l'ancienne usine des petits beurres. En préparation un mécanique à 7,5 ME, des ateliers pour le Royal, et la saison de la scène chébran chez LU.

Pour ce qui concerne les industries et l'emploi, de nombreuses administrations, pour répondre aux soucis de "Paris et le désert français", traduits par les lois de décentralisation, se sont implantées à Nantes (casier judiciaire, une partie du ministère des Affaires Etrangères, la SNCF pour certains services, et d'autres encore). Idem, pour quelques grandes sociétés de services et de commerce (IBM, Cap gemini, E.Leclerc...). Conséquences: déjà dans les années 80, trouver du travail dans le coin tenait de la gageure. Bon nombre de copains sont partis vivre leur vie ailleurs, malgré les volem viure al pays qui résonnaient depuis le Larzac suite à "Que la montagne est belle" de J.Ferrat. A Nantes, point de salut, je sais que je pourrais trouver quelques démentis, mais pour la plupart d'entre nous, nous avons connu une forme d'exil, choisi ou non, en fonction de la contrainte économique. Les "décentralisés" n'embauchent pas, ils créent la demande.

Aujourd'hui à Nantes, c'est le bonheur, puisque les journalistes vous le martèlent à longueur de sondages, et de comparatifs. Et même au niveau européen avec Time, qui me donne l'occasion de réagir. Mon premier regret, c'est que je crois que j'aurais voulu en être, j'ai fait ce qui me semblait bon à l'époque pour que cela arrive, c'est arrivé, mais sans moi...Mon deuxième niveau de lecture, c'est que lors de "mes exils" j'ai beaucoup appris, et que de retour dans ma ville natale après plus de dix ans de pérégrinations professionnelles et géographiques, j'ai du mal à y vivre, sereinement. Certes, comparé à tout ce que nous offrent les news, je reste hyper privilégié, et encore que c'est juste un état de conscience, et pas tout à fait un état d'aisance matérielle (à 500 euros mensuels on ne pavoise pas). Mais c’est aussi cet état de fait où dans ma ville, je n'ai pas les moyens d'habiter ailleurs que dans ce petit logement, où le prix du mètre carré sert d'étalon dans l'article de Echos consacré au "futur krach" de l'immobilier. Près de 60 % de hausse depuis 1998 ! Où les "parisiens" qui débarquent, trouvent que la vie et l'immobilier ne sont pas chers, et produisent cette inflation qui ne ressemble à rien. Et puis la culture change, que voulez-vous, 10% de hausse de la population entre deux recensements, l'endogène fait de la résistance, mais passive. La vie est belle à Nantes, et d'autres viennent vous imposer d'autres formes de vue, que ce soit les vendéens souvent industrieux et plein d'entrain qui vont vous expliquer les choses par le menu, que les choletais, ceux de la chaussure et du textile qui n'ont plus que leurs yeux pour pleurer après les salaires chinois, ou encore les manceaux sarthois férus d'auto (les 24H sans doute) et d'industries qui délocalisent là-bas aussi lourdement. Rennes - Nantes, une liaison incertaine, avec une 4 voies qui s'est perdue des années dans la campagne, tant la rivalité entre les deux capitales restait tangible. Je vous fais grâce de la région, induite par le triste gouvernement de Vichy, et de ses élus, enfin pas les derniers, il est trop tôt pour juger, mais entre Barrot (le commissaire européen aux transports), et Fillon, qui n'en est toujours pas revenu de sa déculottée électorale, que du bonheur.

Si je récapitule, Nantes, des namnètes, peuple des marais (cf. La Guerre du feu), jusqu'à aujourd'hui, c'était plutôt des gens ouverts et sans trop de scrupules (les négriers), voire pragmatiques, et idéalistes (J.Verne...). Maintenant, nous tombons dans la gestion, la gestion de la croissance, réservée aux plus nantis (yapasdefote), et qui laisse sur le côté de plus en plus de nantais qui n'en demandaient pas tant. C'est un sentiment assez bizarre que de se sentir à côté de la plaque chez soi, si tant est que l'on soit de quelque part. Je pense que la raison principale de tout ce chambardement c'est l'argent. Celui des entreprises, des fonctionnaires "délocalisés", de celui que représente la friche des chantiers (800.000 mètres carrés, la plus importante en Europe intra-muros). Et l'appétit du pouvoir, notre bon maire, à qui d'aucun aurait prêté des visées ministérielles si nous n'avions pas connu les élections présidentielles passées, les chébrans qui s'accrochent aux locomotives culturelles... Reste les petits, dans les interstices, qui font encore de Nantes un village, où la lumière est belle.

Je ne me pensais pas aussi concerné par mon environnement, mais ce doit être la vieillesse qui point, genre vieux réac sur le retour, Nantes c'est bien, mais demain ? Peut-être, un peu, le destin d'une ville comme Bruxelles, teintée aujourd'hui d'international, avec son fond bruxellois (Tintin), mais pleine du monde.